Détournement à la Direction générale des Impôts
20 octobre 2005 - Le Conseil national de sécurité (Cns) s’est finalement débarrassé de l’instruction de l'encombrant dossier de la Direction générale des impôts (Dgi) concernant la disparition de plus de dix millions Usd de crédits d’impôts dont se seraient rendus coupables les responsables de cette régie financière. Selon le Conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité, Professeur Samba Kaputo, c’est seulement mercredi 12 octobre, dans l’après-midi que le Cns a pu transmettre à la justice le dossier pour que le droit soit dit en toute équité. Le point de presse tenu mercredi 12 octobre 2005 au Grand hôtel Kinshasa par le conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité aura été à la fois une mise au point et une information. Non seulement Samba Kaputo s’est défendu sur la question de procédure qui préoccupait l’opinion depuis que l’affaire a été déclenchée, il a également informé la presse que ses services venaient de transmettre le même jour en début d’après-midi à la juridiction compétente le dossier concernant la disparition de plus de dix millions Usd du trésor public par le biais de la Direction générale des impôts (Dgi).
Le Conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité a dit que ses services avaient réuni suffisamment d’éléments compromettants qui ont conduit à l’arrestation préventive de hauts responsables de la Dgi. Il a, en outre, fait état de l’existence d’un réseau maffieux dans lequel seraient impliqués la régie financière et les entreprises imposables avec la complicité d’un cabinet privé spécialisé dans la fiscalité. Ce mécanisme reposerait sur les prébendes que tireraient la Dgi et des Pme des crédits sur les impôts dus à l’Etat. Il va sans dire que, maintenant que les juridictions compétentes sont saisies, la justice devra déterminer les responsabilités de chacun dans ce que Samba Kaputo a appelé une entreprise criminelle destinée à priver l’Etat de ses moyens financier. Le Conseiller spécial du chef de l’ Etat a déclaré que la Dgi ne serait qu’une première étape d’une vaste opération dite « mains propres ». Celle-ci pourrait s’étendre à tous les secteurs. D’ores et déjà, les responsables de la Dgrad ont également été appréhendés pour des faits similaires, c’est-à-dire, l’existence d’un réseau maffieux qui vendrait parallèlement des passeports et autres imprimés de valeurs au détriment du trésor public. « Nous avons exécuté ce dossier selon des directives reçues du chef du gouvernement », a déclaré le Conseiller du chef de l’Etat en matière de sécurité avant d’ajouter que l’espace présidentiel le suivait de près au jour le jour. Quant à la compétence de ses services que d’aucuns accusent de pécher par la procédure, Samba Kaputo a renvoyé l’opinion à la lecture de l’ordonnance créant le Conseil national de sécurité. Toutefois, il a précisé qu’il n’avait pas agi en dehors de la loi.
UNE FUITE EN AVANT
Ceci dit, nos inquiétudes sont fondées. Nous ne doutons pas que ce dossier sera fertile en rebondissements. A en croire certaines interprétations, le fait de transmettre les dossiers à la Justice après interpellation des responsables présumés, constitue en soi un vice de forme pour faire traîner les choses en longueur avant que les instances judiciaires parviennent à l’ étape du procès proprement dit. Le temps aura passé qui nécessiterait le remplacement des responsables présumés par d’autres cadres. Soit. Nous serons fixés dans les prochaines semaines. Pour que la vérité triomphe.
Réagissant à chaud, les avocats des responsables de la Dgi ont qualifié le point de presse du conseiller spécial du chef de l’Etat d’une fuite en avant. Selon eux, ce serait l’absence de preuves à l’endroit de leurs clients qui aurait poussé le Cns à transférer le dossier au parquet. Ils continuent à soutenir qu’il n’y aurait pas eu de détournements du fait que l’enquête menée du côté de la Sep n’aurait pas cerné les traces d’une pièce comptable renvoyant à la Dgi concernant le crédit impôt. En outre, ils rappellent que le Cns avait réservé en son temps une fin de non recevoir à une réquisition d’information du parquet visant entre autres à corriger les erreurs ayant entaché la procédure utilisée par le Cns.
Les avocats de la défense notent également une médiatisation à outrance du dossier donnant l’impression d’un règlement des comptes. Les arguments seraient plus développés dans la presse que dans l’instruction proprement dite, soutiennent-ils en demandant l’implication du chef de l’Etat pour l’ouverture d’un procès correct qui permette leur acquittement.
Opération « mains propres » : les dessous des cartes
Débandade à la Direction générale des Impôts. Rafle à la Direction générale des régies administratives et domaniales. Le rouleau compresseur de l’opération « mains propres » se déploie impitoyablement dans les régies financières. Il pourrait emporter dans son élan le ministre des Finances, autorité de tutelle. Les cadres interpellés et mis en garde à vue sont accusés d’avoir soustrait du Trésor publics des sommes évaluées à de dizaines de millions de dollars américains. L’opération « Mains propres », déclenchée depuis quelque temps par le Conseil national de la sécurité, notamment au niveau de deux régies financières (Dgi et Dgrad), continue à susciter des analyses en sens divers. Pour certains, au-delà des détournements avérés des fonds au niveau de ces deux régies financières, c’est le virage « hautement politique » qui semble avoir dénaturé ce qui, pourtant, se limitait dans une sphère essentiellement technique.
La « guerre des clans », pour ne pas dire des « composantes » est-elle désormais ouverte pour abattre le dernier ennemi gênant?. Tout laisse à le croire dans la mesure où l’ opération « mains propres » ne serait que sélective. Les protagonistes de divers rangs ont mobilisé toutes leurs artilleries. Comme pour dire que les arrestations en cascade perpétrées il y a quelques jours à la Dgi et tout récemment à la Dgrad ne seraient que la face révélée d’un iceberg.
L’IMPLICATION DU PARLEMENT
La lutte contre les anti-valeurs, parmi lesquelles la corruption et le détournement des deniers publics, sont les principales tares que les autorités politiques se sont engagées à extirper de la société congolaise.
Déjà, le président de la République a demandé au ministre de la Justice et au procureur général de la République « d’impliquer les organes répressifs de la justice dans une campagne de lutte contre la corruption, la concussion et le détournement des deniers publics ».
Autant dire que l’opération « mains propres », sous couvert de laquelle s’opère la vague d’arrestations de hauts cadres des régies financières par le Conseil national de sécurité, devra s’étendre à l’ensemble des services de l’Etat.
Ce qui implique inévitablement une nette adhésion du Parlement en tant qu’organe constitutionnel de contrôle de l’ Exécutif. Face à l’apocalypse qui s’annonce dans le pays, le Parlement a l’ obligation morale et politique de se saisir du dossier en faisant jouer, en toute impartialité, ses prérogatives constitutionnelles.
Mettre de l’ordre dans les finances publiques congolaises, et par extension dans la gestion des deniers publics, c’est autrement rassurer les partenaires extérieurs de la volonté du gouvernement de transition de demeurer sur la voie de la bonne gouvernance.
Le combat contre le laxisme dans la gestion des finances publiques doit impérativement toucher tous les organes de l’Etat. A ce sujet, un rapport de la Cour des comptes – organe parlementaire de contrôle des finances publiques – faisait remarquer que l’exécution du budget 2004 a posé de sérieux problèmes au niveau notamment de l’espace présidentiel, par le dépassement spectaculaire des assignations prévues, certains allant jusqu’à environ 700 %.
Il est donc de l’intérêt du Parlement de sauvegarder les acquis des réformes entreprises depuis mars 2001 et dont le but ultime est d’amener la Rdc au point d’achèvement à l’initiative Ppte. Rater le point d’achèvement en mettant en avant la stratégie de la « chasse aux sorcières », comme c’est le cas actuellement, semble-t-il, c’est sans doute hypothéquer toutes les chances de relance de l’économie nationale.
C’est l’occasion pour le président de l’Assemblée nationale de traduire en actes son engagement lorsqu’il disait que : « l’Assemblée nationale ne se substituera pas au gouvernement qui s’occupe de la gestion quotidienne du pays, Cependant, en vertu de notre pouvoir de contrôle sur le gouvernement, les entreprises publiques, les établissements et autres services publics, nous mettons en garde tout mauvais gestionnaire de l’Etat ». Il n’ empêche que de nombreuses personnalités aimeraient savoir pourquoi le Conseil national de sécurité a pris le taureau par les cornes, jusqu’à éclipser les organes judiciaires compétentes.
SEUIL D’EJECTION
Le ministre des Finances, Philippe Futa, pourrait bien être la « cible » de cette opération « mains propres ». Dans un de ses nombreux messages, Joseph Kabila avait appelé le peuple congolais à la vigilance et à dénoncer les anti-valeurs « à tout moment », soulignant que « c’est un devoir patriotique car, se taire devant le mal, c’est l’accomplir à moitié ».
Or, en n’ayant ni dénoncé, ni sanctionné les actes de mégestion qui se développaient dans les régies financières, c’est-à-dire autour de lui, le ministre des Finances n’aurait « pas accompli » un devoir patriotique. Et c’est ici que d’importants intérêts vont s’entrechoquer au sein de la famille politique du ministre des Finances, allié du parti présidentiel
La famille politique du chef de l’Etat y trouverait alors « prétexte » à l’éviction de André-Philippe Futa, pour le remplacer par un homme « sûr ». Pour ce faire, des députés hautement outillés devraient faire prévaloir une éventuelle incapacité du ministre à contrôler efficacement la gestion des régies placées sous sa tutelle quand on sait que l’ Assemblée nationale a initié une motion d’interpellation, bien que renvoyée auprès de la Commission ad hoc.
En fait, la cause serait déjà entendue. Si le ministre des Finances est encore en poste, ce serait d’abord parce qu’il était jusque il y a peu président du Conseil des gouverneurs du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale pour l’exercice 2005. A ce titre, il devrait assurer la modération des débats au cours des assemblées annuelles Fmi et de la Banque mondiale tenues à Washington (Etats-Unis) du 24 au 25 septembre 2005.
D’autres part, la « guerre des clans » se poursuit au sein des composantes. Certaines d’entre elles, selon la répartition des responsabilités au sein de entreprises publiques, s’empressent de saisir cette opportunité pour procéder à des permutations, campagne électorale oblige.
C’est ainsi que dans les salons huppés de Kinshasa, on fait de plus en plus état d’un réajustement imminent de l’ équipe gouvernementale.
Source : Le Potentiel